On est bien loin des scénarios noirs évoqués durant la violente crise du coronavirus qui a frappé la France – et le monde- l’an dernier, qui prédisaient notamment une explosion du chômage. Dix-huit mois plus tard et la situation désormais maîtrisée, l’horizon s’est considérablement éclairci. Et, c’est particulièrement vrai en ce qui concerne le marché du travail.
Dans une note sur l’état de la conjoncture française d’ici la fin de l’année publiée ce mercredi, l’Insee prévoit un fort recul du taux de chômage : il atteindrait 7,6 % de la population active aux troisième et quatrième trimestres 2021. Soit un niveau jamais atteint depuis 2008 !
À la même période en 2019, ce taux était un peu plus élevé, à 8,1 %. Certes, au deuxième trimestre 2020, en pleine pandémie, le taux de chômage avait diminué à des niveaux similaires ; mais il s’agissait d’une baisse en trompe-l’œil, en raison des circonstances très particulières. Des centaines de milliers de personnes ne pouvaient plus rechercher d’emploi du fait du confinement et n’étaient donc plus considérées comme étant au chômage.
Nul doute qu’à quelques mois de l’élection présidentielle, le gouvernement et Emmanuel Macron lui-même ne manqueront pas de mettre en avant ces très bonnes perspectives, qui s’expliquent principalement par la hausse très soutenue de l’emploi salarié ces derniers mois. Avec un niveau d’avant-crise déjà retrouvé. « Entre fin mars et fin juin, 290.000 emplois salariés (nets, ndlr) ont été créés. Cette progression nous a surpris. Elle a surtout été portée par le secteur tertiaire marchand », détaille Olivier Simon, chef de la division Synthèse conjoncturelle. Au total, en 2021, l’Insee s’attend à 514.000 créations nettes d’emplois salariés, après 293.000 destructions nettes l’an dernier.
Plus largement, la France devrait retrouver son niveau d’activité d’avant-crise à la fin de l’année, confirme l’Insee dans sa note. Et ce, notamment grâce au fort rebond constaté en mai et juin lorsque les mesures restrictives ont été progressivement allégées avec l’accélération de la vaccination et que les commerces ont rouvert. Résultat, la croissance devrait bien atteindre 6,25 % cette année – soit, un niveau qui s’annonce plus élevé que la moyenne de la zone euro-, après la chute inédite de 8 % observée l’an dernier, poursuit l’institut.
L’emploi salarié dépasse son niveau d’avant-crise
L’Insee souligne que « l’onde de choc » liée à la crise sanitaire du Covid-19 a été « très amortie s’agissant du marché du travail », l’emploi salarié ayant dépassé son niveau d’avant-crise dès le deuxième trimestre 2021.
« Le rythme des créations ralentirait quelque peu d’ici la fin de l’année mais, au total, environ 500 000 créations nettes d’emplois salariés succéderaient aux quelque 300 000 destructions nettes enregistrées en 2020 », souligne l’Insee.
Dans le même temps, l’activité économique « retrouverait globalement – mais sans le dépasser contrairement à l’emploi – son niveau d’avant crise d’ici la fin de l’année », poursuit l’Insee, qui maintient sa prévision de croissance pour 2021 inchangée à 6,25%.
Objectif 7 % à portée
Si l’on met de côté le millésime 2020, marqué par des mouvements de yoyo atypiques du fait des périodes de confinement, il faut remonter à l’automne 2008 pour retrouver un taux de chômage aussi bas. Pour rappel, il était encore de 9,5 % au deuxième trimestre 2017. Sauf retournement conjoncturel d’ampleur, l’objectif de 7 % que le chef de l’Etat s’était fixé pour la fin du quinquennat redevient crédible.
La très forte baisse du taux de chômage s’explique par un double mouvement, selon le chef de la division synthèse conjoncturelle de l’Insee, Olivier Simon. Primo, le fort acquis des créations d’emplois salariés : +149.000 et +289.000 sur les premier et deuxième trimestres respectivement. La tendance à la hausse va se poursuivre, mais plus modérément (+56.000 au troisième et +20.000 au quatrième).
La population active progressera elle aussi d’ici à la fin de l’année, mais moins que l’emploi. « La hausse de la population active depuis le début de l’année s’explique notamment par le retour sur le marché du travail d’une partie des personnes qui en étaient sorties au cours de la crise sanitaire », précise l’Insee.
Pouvoir d’achat en hausse
Grâce à leurs trésoreries bien dodues, elles recrutent à tour de bras, non sans mal, d’ailleurs, dans un certain nombre de secteurs confrontés aux pénuries de main-d’œuvre qualifiée. De sorte que, dès le deuxième trimestre, l’emploi salarié a dépassé son niveau d’avant-crise.
Ainsi, malgré le retour sur le marché du travail de personnes qui s’en étaient éloignées – par exemple, les parents qui auraient cessé leur activité professionnelle pour pallier la fermeture des écoles –, le taux de chômage, au sens du Bureau international du travail, devrait tomber à 7,6 % de la population active à la fin de l’année, contre 8 % en moyenne au deuxième trimestre. Il s’agit du taux le plus bas constaté depuis 2008, avant l’éclatement de la crise des subprimes aux Etats-Unis.
Parallèlement, le recours au chômage partiel se raréfie et devrait même « quasiment disparaître » d’ici à la fin de l’année. L’activité partielle ne représentait plus que 0,8 % des heures travaillées au mois d’août, contre 4,7 % au deuxième trimestre.
Créations d’emplois, baisse du chômage, retour des heures supplémentaires : de quoi alimenter les fiches de paie et le pouvoir d’achat des ménages, qui s’annonce comme l’un des thèmes majeurs de la campagne pour l’élection présidentielle de 2022.
Une inflation légèrement supérieure à 2 %
Dans l’Hexagone, la hausse des prix, selon l’Insee, devrait rester légèrement supérieure à 2 %, au moins jusqu’en décembre. Cette inflation, qui provient des tarifs de l’énergie, reste « majoritairement importée ». Il est d’ailleurs intéressant de noter que c’est dans les régions rurales, là où l’usage de la voiture et, donc, les achats de carburants sont les plus importants, que la perception de l’inflation ressentie est la plus négative.
Est-ce en raison de ces craintes sur une possible hausse généralisée des prix que les ménages restent mesurés dans leurs dépenses ? Ou cela s’explique-t-il par des changements de mode de vie liés à la crise ?
La consommation, en tout cas, a repris plus modérément que l’activité. Elle ne participe qu’à hauteur de 2,1 points à la croissance du PIB, alors que les entreprises contribuent, par le biais de l’investissement, à hauteur de 2,6 points. « La consommation retrouverait tout juste, en fin d’année, son niveau de fin 2019 », souligne l’Insee.
Le chômage des jeunes deux fois plus élevé qu’en Allemagne
Si ce taux de chômage de 7,6 % reste conditionné à l’absence de nouvelles restrictions sanitaires, il risque surtout de n’être qu’une parenthèse enchantée, selon l’Insee. « C’est conjoncturel, estime Anne-Sophie Alsif. Il s’agit d’un rattrapage après la crise vécue en 2020, un effet ciseaux. Selon nos prévisions, on devrait retrouver un taux de chômage supérieur à 8 % dès 2023. »
Car les maux du marché du travail français restent présents, avec un chômage dur chez les jeunes et les plus de 55 ans. « Il a principalement baissé dans les catégories les plus proches de l’emploi, celles âgées entre 25 et 55 ans, moyennement ou très diplômées, constate l’économiste. Même s’il a diminué, le chômage des jeunes reste important. » Traditionnellement celui-ci atteint 18 % en France, quand il est moitié moins élevé aux Pays-Bas et en Allemagne, autour de 7 %. D’où l’arbitrage tant attendu du président de la République sur le revenu d’engagement qui doit permettre, s’il n’est pas enterré, de réduire le taux de chômage des jeunes. Le projet, déjà reporté, doit être présenté dans les prochains jours.
La consommation ne s’envole pas
L’inflation est elle aussi suivie de près. Elle devrait se maintenir au dessus de 2 % jusqu’à la fin de l’année avec un pic de 2,3 % en octobre lié à la flambée du prix du gaz. Pour établir ses prévisions, l’Insee a retenu l’hypothèse d’une stabilité des prix du baril de Brent (75 dollars) et des matières premières agricoles (le blé) et industrielles (le fer, l’aluminium) qui nourrissent la hausse des prix.
En attendant, le renchérissement des prix de production commence à être répercuté sur les prix de vente. A ce stade, ce sont les ménages résidant en zone rurale, plus dépendants de la voiture, qui ressentent le plus vivement les augmentations.
Quelle sera l’incidence sur la consommation des Français, principal moteur de la croissance ? La bonne tenue du marché du travail devrait en principe les inciter à dépenser. Pour l’instant, on est loin d’un scénario où ils puiseraient dans leur bas de laine. La consommation s’est certes redressée cet été avec la levée des contraintes sanitaires, mais elle ne s’envole pas. Attendue en hausse de 4,1 % (après un recul de 7 % en 2020), elle devrait tout juste retrouver son niveau d’avant-crise en fin d’année. D’ici là, l’Insee table toutefois sur une baisse du niveau d’épargne des ménages, à 17,5 %.